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- Un temps mon travail fut celui de collecter des matières et de trouver la façon la plus neutre, la moins interactive de les présenter.

- Vous disiez alors que le maître mot est le silence, loin de toute idée de narration.

- C'était extraire une matière, un objet de son contexte et de chercher à le mettre en exergue afin de ménager un moment pour l'observation, d'alimenter une sorte d'étonnement face à ce qui nous entoure.

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- Pour ne pas en encombrer la lecture, vous dites que vous cherchiez en permanence la façon la moins intrusive de travailler.

- Je disposais alors simplement ce que je voulais partager sur des socles ou des étagères carrées en plâtre, en plastique, en aluminium ou en acier. Mon temps de travail passait dans la conception et la fabrication de ces étagères et non sur la transformation de l'objet.

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- Pourtant vous faisiez des associations farine/pierre, bassines de plastique/planchettes de bois, qui pouvaient en orienter la lecture.

- Ces objets sont de forme simple et doivent être vu avant tout comme des matières dont l'association doit en enrichir la perception.

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- Tout comme l'idée de série?

- Oui, le classement par matière, par couleur, par forme, l'accumulation, tout ça peut permettre une meilleure appréhension, ou alors une perception différente de l'objet présenté. La comparaison de ce qui paraît si semblable, la recherche de ce qui différencie, cela force à l'attention et alimente le questionnement.

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- Puis vous êtes revenu à la peinture.

- En fin de compte je me suis aperçu qu'il me manquait la durée. Celle qui permet de se rapprocher de la matière à travers l'usure, l'imprégnation, le frottements; que le "faire" permettait cette proximité en étant spectateur de ces différentes interractions que l'on provoque.

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- Alors de l'étagère carrée vous êtes passé au carreau sur la toile ou sur le papier.

- Oui exactement. Avant d'être une image, un dessin est une succession de ces carreaux, comme ces étagères carrées alignées sur les murs. Des carreaux remplis un à un avec le même souci de mise en exergue de la matière que celui que j'avais dans mes installations, sauf qu'il s'agit là, à une échelle plus petite, de la matière peinture ou de la matière graphite.

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- Peintures dans lesquelles vous continuez à représenter des matériaux ou des sujets minimalistes sur fond blancs comme posés sur une étagère.

- Sauf que le vrai sujet est la matière dont la peinture ou le dessin sont faits. Matière de travail qui est devenu en quelque sorte comme un syncrétisme de toutes les autres matières qui m'occupaient jusque là.

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"- Comment choisissez-vous vos sujets?

- Sachant que le véritable sujet de mon travail est la matière dont mes dessins sont faits, je suis amené à choisir des images les moins narratives possibles afin de ne pas entraîner le spectateur dans une fiction qui l'éloignerait du propos qui est le mien. Je suis donc plutôt attiré par des sujets simples, à la limite de l'abstraction, qui ont un foisonnement de détails et qui promettent une complexité de fabrication.

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- Vous travaillez à partir de vos propres photos que vous cherchez à reproduire le plus fidèlement possible. Malgré ce qu'on pourrait croire l'hyperréalisme sert votre objectif de focaliser l'attention non sur l'image, mais sur la matière du dessin.

- Oui Richard Shifft parle de la "vision inquisitrice" que nécessite la lecture d'une peinture ou d'un dessin très réaliste, afin de distinguer ce qui les différencie d'une photographie, de comprendre l'effort qui a été mis en oeuvre pour y arriver. Le regard se rapproche donc naturellement du support pour ne plus percevoir l'image mais "l'âme du médium".

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- Pour illustrer le fait que le processus prime sur le résultat il suffit d'observer que vous ne travaillez pas votre dessin dans le sens de sa lecture et que vous ne le voyez pas progresser puisque qu'il est dissimulé la plupart du temps par des caches de protection.

- Je le couche sur le côté par commodité, à cause de sa taille qui dépasse celle de ma table, et je le recouvre de papier pour le protéger du frottement. C'est la ressemblance de chaque carreau qui m'importe, la ressemblance finale viendra alors plus tard, tout naturellement.

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- Vous utilisez la mise au carreau pour reproduire vos prises de vues. C'est une longue élaboration qui vous prend six mois pour les plus grands dessins.

- Il y a pas loin de 25000 carreaux dans un grand dessin et chacun de ses carreaux est fabriqué indépendamment des autres. Chacun de ces carreaux est un moment à lui seul, un moment d'observation, de construction, de silence et d'interrogation. Mais chacun d'eux est aussi un lieu. Le lieu où le graphite frotte et se dépose sur le papier, un lieu d'érosions minuscules et de noyades, d'étonnements et de découragements. Et on pourrait rajouter un lieu d'ennui et d'exaltation, un lieu exigeant où l'on interroge la matière et le temps, un lieu d'attention extrême. Le lieu de "l'être dans l'instant", de "l'être au monde".

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- Vous dites aussi que c'est une manière de revendiquer le temps, la patience, la non rentabilité, le refus de se laisser emporter. Une distanciation d'avec l'avidité du monde.

- Je cherche à privilégier l'instant. J'essaie de faire en sorte que chaque trait de dessin soit un acte de présence. De la même manière que la respiration est un support pour le méditation, le dessin devient alors, comme le souffle, un catalyseur d’attention. Et quand l’esprit vagabonde, l’erreur du trait nous rappelle à l’ordre. Jean-Yves Leloup parle de faire de "Chronos", le temps qui dévore, un "Kaîros", le moment favorable, "l'instant juste, ouvert à ce qui le transcende où nous ne serions plus le jouet du temps, mais un sujet qui l'habite et s'y déploie."

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- On pourrait parler de discipline.

- C’est là une métaphore de l’attention qui devrait accompagner les gestes de la vie quotidienne. Pour Chögyam Trungpa, aucun acte n’est étranger au champ de l’art. Ouvrir une porte, poser un vêtement sur un cintre, allumer une cigarette, tout doit être l’occasion de célébrer l’existence et peut répondre à une chorégraphie précise. Chaque moment du dessin, chaque geste, est donc une manière de cristalliser la présence qui devrait être la nôtre, au point que chaque trait de graphite deviendrait un concentré du monde et de nous-même. Ce que Jean Dubuffet voyait comme une « continuité indifférenciée de ce qui nous entoure et dans laquelle notre propre personne aussi se dissout, perdant comme tout le reste sa spécificité ».

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